mercredi 30 novembre 2016

Penser le milieu / Augustin Berque

Freak oak leaf
Botanical and Otherwise
(Herman Silas Pepoon, octobre 1917)
(source)
Séminaire du 20 février 2016, couvent Sainte Marie de la Tourette

Penser le milieu

– Renaturer la culture, reculturer la nature, avec Augustin Berque –

par L. Duhem, J.-M. Ghitti, B. Lanaspèze et Ch. Younès

            
Le couvent dominicain Sainte Marie de la Tourette, dans la commune d’Éveux (Rhône), est connu entre autres pour son architecture, l’une des œuvres les plus célèbres de Le Corbusier. Il accueille régulièrement des rencontres intellectuelles. Organisé sur la proposition du Père Christophe Boureux, « théologien jardinier » chargé de la gestion paysagère et forestière du parc de 70 ha qui s’étend autour du couvent de La Tourette, le séminaire du 20 février 2016 portait sur la mésologie professée par le géographe, orientaliste et philosophe Augustin Berque (1942-) dans le fil de l’Umweltlehre d’Uexküll et du fûdoron de Watsuji. Le naturaliste germano-balte Jakob von Uexküll (1864-1944) fut l’un des fondateurs de l’éthologie et le précurseur de la biosémiotique. Il a posé et prouvé expérimentalement que le milieu (Umwelt) n’est pas réductible à l’environnement (Umgebung), car ce n’est pas un donné brut mais un construit, élaboré par l’interprétation sémantique et active que le vivant, en tant que sujet, fait de cette matière première. Le philosophe japonais Watsuji Tetsurô (1889-1960) a fondé sur le même principe sa théorie des milieux humains : le milieu (fûdo) n’est pas l’environnement naturel (shizen kankyô), car il suppose l’interprétation qu’en fait historiquement le sujet humain. Ainsi la mésologie, science du milieu, n’est pas l’écologie, science de l’environnement. On peut la définir comme une phénoménologie de l’environnement et une bioherméneutique.

mardi 22 novembre 2016

Anthropocène et transhumanisme (ou l’écoumène comme anthroposcène) / Augustin Berque

Dawn in the Anthropocene
(source)
Université de Lausanne, Institut de géographie et durabilité
Conférence, jeudi 22 septembre 2016


Anthropocène et transhumanisme

(ou l’écoumène comme anthroposcène)

Augustin Berque

1. De coïncidence en « moment structurel »
Tant l’anthropocène que le transhumanisme – avec leur cortège de cyborgs, de posthumains etc. – sont aujourd’hui deux notions devenues courantes, liées l’une et l’autre à la condition présente de notre environnement et de nos techniques, mais habituellement non connectées en termes de structure ou de fonction réciproque, sinon dans la perspective utilitaire de nous rendre si nécessaire capables de survivre, comme cyborgs ou posthumains, dans un environnement qui serait devenu invivable. La plupart du temps, ces deux problématiques sont traitées séparément, et leur relation considérée comme une simple coïncidence, l’une et l’autre comme expressions de la civilisation moderne, de ses effets et de son possible destin.

mercredi 16 novembre 2016

Qu'est-ce qu'une logique du milieu / Augustin Berque

Invitation to the Coup (Wolfgang Lettl: 1981, Lettl Collection)
source
École des hautes études en sciences sociales / Université Pierre et Marie Curie
Colloque international Milieu / Mi-lieu

Qu'est-ce qu'une logique du milieu,

et pourquoi nous en faut-il une aujourd'hui?

par Augustin BERQUE

Résumé - Une logique du milieu n'est ni une logique de l'identité du sujet S (de type aristotélicien), ni une logique de l'identité du prédicat P (de type nishidien); c'est une logique trajective, où S est saisi en tant que P. En principe, la science absolutise S (le sujet du logicien = l'objet du physicien), tandis que la religion absolutise P (la Parole qui, étant auprès/au sujet de Dieu, est Dieu); en pratique, on est toujours au milieu des deux, dans la trajection de S en tant que P. Cette trajection, sous le nom de "tonation" (Tönung), a été montrée par Uexküll dans les milieux animaux (Umwelten). De là, on la retrouve chez Heidegger, pour qui l'étant est "quelque chose en tant que quelque chose" (etwas als etwas), soit S en tant que P. C'est la logique du als, l'en-tant-que. Heidegger en a tiré le concept de "dispositif" (Gestell). Tant cet als que ce Gestell étaient - mutatis mutandis - présents dans le bouddhisme dès le Ve siècle, et s'y retrouvent aujourd'hui en japonais sous le nom, respectivement, de soku et de sesetsu 施設. Pourquoi nous faut-il aujourd'hui une logique du milieu? Parce que l'absolutisation de S mène à un réductionnisme qui annihile virtuellement l'interprète I de S en tant que P (i.e. l'humain en particulier, et le vivant en général), tandis que l'absolutisation de P aboutit virtuellement au dogmatisme et au fanatisme. Il nous faut penser la ternarité S-I-P, car la binarité S-P est mortifère.

mercredi 9 novembre 2016

Le Japon, champion de destruction de la nature ? / A. Berque


Centre européen d’études japonaises d’Alsace, Colmar, 3-4 novembre 2016
Colloque international La nature au Japon à l’épreuve de l’homme

Comment le Japon, dans les années soixante,
a-t-il pu devenir champion de destruction de la nature ?

par Augustin BERQUE

Gymnasts outside the new Olympic building in Japan (Larry Burrows, 1964)
(source)
Résumé – On rappelle d'abord la tradition d'amour de la nature qui caractérise le Japon, en soulignant ce qu'elle doit doublement au shintoïsme autochtone et à la veine poétique de l'érémitisme venue de Chine. On souligne également le rôle du haïku et de ses saisonniers (saijiki), qui sont de véritables grammaires de l'accord entre la société japonaise et la nature de l'archipel. Puis on rappelle les grandes lignes de la crise de l'environnement survenue pendant la Haute Croissance. Comment ce ravage systématique de la nature a-t-il été possible dans un pays riche d'une telle tradition ? On en cherche d'abord les raisons d'ordre socio-économique et politique (le système du seizaikan), pour ensuite en envisager les raisons d'ordre mésologique : la discordance ontologique et logique entre la nature trajective héritée de l'histoire et la nature objectifiée et instrumentalisée par le capitalisme moderne.